09 avril, 2013

Zao Wou-Ki

Je viens d'apprendre la triste nouvelle de la disparition du peintre franco-chinois Zao Wou-Ki. J'avais fait la découverte de cet artiste au début des années 2000 et j'avais tout de suite aimé sa peinture. En 2003, lors d'une promenade aux Tuileries j'avais pu voir une expo qui lui était consacrée au Musée du jeu de Paume.
Je reproduis ici l'article paru dans Le Monde qui lui rend un dernier hommage.

Le peintre franco-chinois Zao Wou-ki est mort

LE MONDE | • Mis à jour le
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Le peintre Zao Wou-ki, en 2003.



Chaque jour, aussi longtemps que l'âge et la maladie le lui ont permis, Zao Wou-Ki s'est rendu à l'atelier, au dernier étage de sa maison de la rue Jonquoy, dans le 14e arrondissement de Paris, où il s'était installé en 1960. Il riait lui-même de cette régularité d'"ouvrier", si éloignée du mythe de l'artiste inspiré. Là, dans une complète solitude, il peignait à l'huile sur toile le plus souvent, à l'encre de Chine plus rarement, à l'aquarelle dans ses dernières années. A l'exception d'une collection de pinceaux somptueux rapportés de Chine au cours de l'un de ses voyages, rien ne rappelait son pays natal. Les livres de la bibliothèque concernaient l'histoire de l'art occidental, Cézanne, Matisse. La musique était européenne, de Mozart à Varèse, qui fut de ses amis. Peu de vies et d'œuvres attirent aussi évidemment la réflexion du côté des rapports et de la convergence des cultures.
Né à Pékin en 1921, Zao Wou-Ki – son nom francisé – appartient à la famille Tsao, connue depuis les Song, famille aristocratique et lettrée. Grand père et père dessinent en amateurs. Admis dès 1935 à l'Ecole des Beaux Arts de Hangzhou, il y demeure six ans, y devient assistant en 1941, en suit les déplacements au gré des événements militaires. Cartes postales rapportées de Paris par un oncle et magazines américains lui font découvrir l'art occidental, l'impressionnisme et Picasso. Une première exposition personnelle à Shangaï en 1947 précède de peu son départ pour Paris : la situation politique et le désir de connaître par lui-même cet autre monde déterminent un départ qu'il ne sait pas définitif.
ASCENSION
Le 1er avril 1948, il arrive au Paris et passe son après-midi au Louvre. Il trouve un atelier rue du Moulin-Vert, déjà dans le 14e, fréquente l'académie de la Grande Chaumière, se rend dans les galeries. Vite, il rencontre d'autres jeunes artistes juste arrivés à Paris, Pierre Soulages, Sam Francis, Norman Blum, Jean-Paul Riopelle. Vite encore, il expose à la galerie Creuze, en mai 1949, puis chez Pierre Loeb. Celui-ci vient dans son atelier en janvier 1950 en compagnie du plus discret des amis de Zao Wou-Ki , le poète et peintre Henri Michaux. Dès 1952, ce dernier préface une exposition du peintre à New York : "montrer en dissimulant, briser et faire trembler la ligne directe", écrit-il pour définir l'œuvre.
Rétrospectivement, c'est cette rapidité dans la compréhension qui paraît remarquable. En peu de temps, alors que la langue française ne lui est que partiellement familière, Zao Wou-Ki s'inscrit dans le mouvement qui porte alors nombre de peintres vers des expérimentations abstraites nouvelles. Chacun a sa voie singulière. Si proches soient-ils amicalement -et professionnellement à l a Galerie de France où ils exposent longtemps tous trois- , Zao Wou-Ki, Hartung et Soulages ne constituent pas un groupe. Leurs œuvres n'ont rien de commun, mais ils partagent la même exigence d'expérimentation continue sur la toile, de façon intuitive, selon ce qui se passe avec la peinture. L'assiduité quotidienne de Zao Wou-Ki dans son atelier répond à cette conception de l'art comme expérience visuelle et sensible, hors de tout système.
Vite dégagé de son admiration pour Paul Klee, il s'écarte tout autant de la tradition calligraphique chinoise. A partir du milieu des années 50, les formats grandissent, les couleurs gagnent en éclat, les gestes en puissance, les compositions en complexité. Balayages, entrecroisements, éclaboussures, explosions: la toile est mouvante, traversée de courants obliques ou tournants. A trop faire l'éloge de la fluidité et la légèreté, on a parfois oublié de remarquer que ces qualités n'étaient si vives que parce qu'elles entraient en conflit visuel avec un certain ordre sous-jacent de la composition. Ces tensions sont accentuées par l'affrontement entre des couleurs très intenses et les dimensions croissantes des oeuvres les rendent plus présentes encore. Rien de surprenant si, plusieurs fois, rompant avec son habitude de ne donner aucun titre, Zao Wou-Ki a nommé une toile Hommage à Henri Matisse – hommage à ses roses, ses bleus et ses noirs. Souvent la bidimensionnalité de l'abstraction est emportée dans la tempête et un espace s'ouvre, si vaste qu'il appelle des adjectifs tels qu'océanique ou céleste. Les encres, par les moyens du noir et de l'eau, sont animées du même mouvement. Interprétation paradoxale de l'abstraction selon une conception chinoise du geste et de l'espace ou, à l'inverse, actualisation de celle-ci par le passage à la couleur à l'huile et aux formats monumentaux ? Quelque soit le point de vue adopté, les idées de passage et de fusion sont centrales.
CÉLÉBRITÉ INTERNATIONALE
L'inventaire des expositions, des rétrospectives, des commandes et des distinctions qui se sont succédées depuis les années 60 serait interminable. A partir des années 80, la reconnaissance de l'artiste gagne l'Asie, Singapour – où il travaille avec l'architecte I.M.Pei –, Hong Kong, Taïwan, le Japon, la Corée. En 1983, Zao Wou-Ki est invité à revenir dans la Chine qu'il a quittée 35 ans plus tôt pour des expositions à Pékin et Hangzhou. Il y retourne enseigner un mois en 1985 pour faire découvrir à ses élèves l'art occidental et y donner des leçons de peinture.
A mesure que son pays natal s'ouvre et que des collectionneurs s'y révèlent, l'engouement pour son art devient immense – et le renchérissement de ses œuvres lui est proportionnel. Lui qui avait été jadis contraint de s'exiler apparaît désormais comme un maître et un symbole pour ses compatriotes : un maître parce que sa célébrité est devenue internationale, un symbole parce que son art allie un sentiment de l'espace et une puissance du geste que l'on tient pour caractéristiques de l'art chinois à la peinture à l'huile, création européenne qu'il a su apprivoiser et attirer vers le monde aérien et immatériel qui était le sien.
Atteint de la maladie d'Alzheimer, le peintre est mort, mardi 9 avril, en Suisse à l'âge de 93 ans, après avoir été hospitalisé à deux reprises depuis la fin de mars.
Philippe Dagen






Quelques détails de ses toiles







Fragments du pan de mur devant moi quand je suis à mon bureau, il est toujours sous mes yeux...


4 commentaires:

  1. Par un malencontreux coup de souris j'ai supprimé deux messages que je voulais publier (pas très bien réveillée ce matin...). Impossible de revenir en arrière, alors je reproduis ici les messages d'Anne et de Gine:

    Anne a ajouté un nouveau commentaire sur votre message "Zao Wou-Ki" :

    J'aime la peinture de Zao Wou-Ki et je suis très triste d'apprendre qu'il n'est plus, sinon dans ses oeuvres qui témoignent de son art et de la beauté. Vous lui rendez justement hommage, soyez-en remerciée.

    Gine a ajouté un nouveau commentaire sur votre message "Zao Wou-Ki" :

    Merci pour ce billet! J'avais songé à en faire un, mais après celui-ci, et vu le temps libre qui m'est accordé aujourd'hui, je renonce : tout est là. Alors même que l'on célèbre les quarante ans de la mort de Picasso, un artiste s'éteint, avec très peu de bruit - j'ai été étonnée du peu d'informations à son sujet.
    Beaucoup d'émotion pourtant.
    Merci encore et bonne journée.

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  2. Merci pour ce bel article. Justement ce soir, en rentrant, j'ai ressorti des livres de ce peintre que j'aime - une façon de lui rendre hommage, de le faire rester vivant.

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  3. Oui, de ses peintures explosait la vie avec une palette si harmonieuse et une gestuelle bien à lui qui me causaient un réel frisson...
    Bel hommage ! Merci !

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  4. Ciao AnnaLivia, grazie per essere venuta a trovarmi e del gentile commento che mi hai lasciato.
    Certo che a Parigi c'è la possibilità di vedere molte più cose che qui nel sud e, visto gli esempi di quadri da te postati, mi dispiace veramente di non aver conosciuto tutte le opere di questo pittore. Speriamo che gli dedichino una mostra speciale qui a Montpellier. Buonanotte.

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